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 Alors que j'ai lancé il y a peu l'idée d'un roman en continu, une fois de plus, je me suis aperçu que mon livre en cours d'écriture était déjà bien différent de ce que j'avais pu imaginer. C'est un fait indiscutable: le livre rêvé n'est pas le livre écrit.


Une bonne idée ne suffit pas à faire un bon roman

  Les livres ne s'écrivent pas d'une façon linéaire, c'est la nature même de la créativité qui veut ça, car cette dernière est plutôt du genre capricieux et indomptable. On raturera, reformulera, ajoutera ou retranchera, car c'est là la meilleure façon d'écrire un livre. Les idées au départ, aussi nombreuses soient-elles, lorsqu'elles échouent dans les filets de notre inspiration, sont de toute façon bien trop légères, en creux, donc insuffisantes pour peser sur la feuille. Pour cela, il faudra travailler, car le génie n'existe pas, seule une formidable force de travail permet de faire un livre.


  Des idées de roman naissent régulièrement dans la tête d'un auteur, il est même déconcertant parfois de constater avec quelle simplicité elles viennent nous titiller les neurones dans des situations où on ne les attend pas. Les idées nous sont données trop facilement, cela devrait nous inciter à davantage de méfiance et à réaliser que l'idée n'est en réalité que la partie congrue de la création. Avez-vous déjà connu cette sensation envahissante, presque douloureuse, de posséder une idée jugée parfaite, dont il faut à tout prix accoucher sous la forme d'une réalisation quelconque ? Une idée qui occupe tout l'espace dans votre tête au risque de vous saccager le cerveau comme un bébé obèse dans son parc minuscule ? Dans le domaine littéraire, il faut savoir se méfier de ce type d'idée, les écrivains contrairement aux artistes visuels, ne peuvent embrasser la totalité de leurs œuvres futures sous la forme d'un flash révélateur... L'idée d'un roman est nécessairement peu consistante, trompeuse même, comme un décor en papier mâché, elle dissimule beaucoup de vide à remplir. L'idée, c'est notre roman rêvé qu'on pense déjà lire alors qu'il n'existe pas, un peu à la manière de ces appartements de luxe dont les photos nous font rêver, on croit les habiter alors qu'ils ne sont pas encore sortis de terre....


  Pour apparaître dans notre monde, notre roman devra passer par ce brutal et bruyant accouchement qui n'est autre que l'incarnation de l'idée sur le papier. Une idée doit s'épaissir, prendre de la matière, puiser dans les ressources de l'auteur pour être exploitable, ce n'est que sous ces conditions qu'elle pourra être étirée, découpée, il faudra la travailler encore et encore et c'est peut-être bien plus de cent fois qu'il faille remettre sur le métier notre ouvrage.... La créativité bouillonne, chauffez les idées et il s'en dégage d'autres qui gagnent la surface sous la forme de petites bulles; les idées changent au plus chaud de ce processus créatif, les coups répétés à chaque ligne écrite donnent des formes nouvelles en fonction de l'habilité des forgerons créateurs que nous sommes. Les mauvaises idées ne résistent pas à ces manipulations vigoureuses, elles cassent sous la pression, trop fragiles et il faut alors faire confiance à la créativité qui est une divinité serviable et laissez s'opérer cette sélection naturelle: celles qui auront muté l'auront fait pour le meilleur, car chaque changement est nécessairement bénéfique, car la finalité même du changement et de viser un absolu de perfection. En bon serviteur, il faudra accepter les cadeaux des maîtres pour enfin bâtir les châteaux rêvés.


Un livre terminé n'est pas nécessairement un bon livre


  Un livre fini est toujours un objet de fierté pour son auteur. Si la recette a bien été appliquée, ce livre a déjà changé plusieurs fois de visage et on est tenté de le croire parfait, car enchâssé dans notre idée de l’achèvement se dissimule souvent l'idée de perfection, on croit à tort que de notre livre on ne pourra plus rien ajouter ou enlever. C'est une erreur, si le livre est terminé, immobile c'est que nous l'avons privé d’énergie en venant littéralement à bout de nos idées. Un autre aurait pu mieux faire, les idées offrent une manne inépuisable à qui sait extraire leur moelle si généreuse. Il n'y a pas à rougir, on finit un livre, comme on court un 10 kms ou un marathon et qu'importe la distance parcourue, cela n’enlève rien au travail accompli et s’entrainer c’est toujours vouloir se dépasser.


Le livre suivant n'est pas nécessairement le meilleur (mais il contribue à faire de nous un meilleur écrivain)


  Il est excitant d'écrire un livre, une pensée qui peut étonner ceux qui n'ont jamais été touchés par la grâce de la création, l'écriture offre des joies solitaires et secrètes, intellectuelles, qui n'ont rien à envier à celles qu'offrent le corps. Pris dans nos émotions exacerbées, cet emballement de l'exercice créatif, on rêve à voix haute : « ce livre sera meilleur que le précédent, dit-on plus souvent que cela n’est vrai et qu’importe. Notre enthousiasme nous rince de nos précédents échecs, il y a un plaisir autoentrenu qui est si grand qu’il ferait presque passer le livre écrit comme une conséquence secondaire et inattendue. Du moins, ce serait égoïste, pour les écrivains qui ne font jamais lire leurs livres, mais les écrivains cuisinent et la nourriture comme la littérature n’est jamais aussi bonne que quand elle est partagée. Les artistes sont les vrais alchimistes, ils détiennent les clés de la transmutation en faisant de leurs idées des œuvres. C'est magique et cette magie se nomme créativité.